Disons le tout de suite : BIEN ENTENDU je n'ai pas pu assister au spectacle que donne actuellement Gérard Depardieu au théâtre des Bouffes du Nord.
Bien sûr.
C'est complet, archi-complet et pour tout te dire je n'ai même pas essayé de récupérer un billet étant donné que je n'ai eu vent de l'existence de ce récital qu'hier (soit bien trop tard pour tenter de pleurer en espérant la pitié d'un ou d'une qui aurait pu me dépanner).
Complètement par hasard, hier soir, alors que j'écoutais distraitement la radio en vaquant à mes occupations domestiques (faire la cuisine est un parfait remède à l'anxiété chronique), j'apprends donc l'existence de ce spectacle.
Oui, tu vois, je ne parle pas de concert parce qu'il me semble avoir saisi que cette représentation ne consiste pas seulement en une suite de chansons mais qu'elle est ponctuée d'interventions du grand Gérard qui, que l'on soit d'accord ou non avec les décisions du bonhomme, ne manquent jamais d'éclat.
Il rend hommage ici à celle avec qui il partagea la scène pour une pièce musicale "Lily Passion" dans les années 80. Cette collaboration, je l'ignorais. Et quand j'ai entendu parler de ce spectacle, je me suis renseignée.
Et je suis tombée là dessus : une lettre.
Une lettre de Depardieu adressée à Barbara. Je ne sais pas t'expliquer ça rationnellement, j'adore parcourir les échanges épistolaires (et y participer, je suis de ces ados qui avaient des "correspondants", dans le temps, juste pour le plaisir d'écrire et de recevoir, régulièrement, des missives à domicile)(dingue! Alors qu'il me vient en tête le souvenir que je piochais mes partenaires d'écriture dans la rubrique "correspondants" d'Okapi, l'envie me prend de vérifier si la rubrique existe encore, à l'heure d'internet et des téléphones portables et...il semblerait que OUI - tout espoir n'est donc pas mort. Ô monde moderne, je peux croire encore en toi!). Si je cite parfois "les liaisons dangereuses" dans la liste de mes romans préférés, ça vient d'ailleurs beaucoup de là...mais je sens que je m'égare : La lettre de Depardieu à Barbara, donc.
Comme je n'ai peur de rien (surtout pas de l'excessive longueur de mes billets, pourtant fortement dissuasive d'après ce qu'on m'a rapporté) (j'ai envie de croire que certains vont malgré tout jusqu'au bout) je te glisse ici l'intégralité de la lettre, récupérée sur le site "Des lettres" (que tu connais sûrement si tu partages mon addiction).
Chère Barbara,
Je viens juste de raccrocher. Ta voix n’est pas près de me quitter. Il y a une pépite d’or au creux de mon oreille pour le reste de la journée. Un coup de fil, c’est une lettre sonore. Sans cet appareil, nous serions restés à des milliers de kilomètres l’un de l’autre, toi au Japon et moi à Bougival. Il faut savoir souffrir d’une absence, mais un petit coup de fil, comme on avale un cachet pour apaiser l’angoisse, cela ne fait pas de mal.
Ta voix m’a toujours paru s’élever vers le ciel. Ton âme est un son, une mélodie. Tes mots, par miracle, se matérialisent. Il y a cette rime que j’adore : « Notre amour aura la fierté des tours de cathédrales. » Je te le jure, ta cathédrale, je la voyais, elle s’élevait dans l’air, juste devant moi. La chanson avait un pouvoir, une force incroyable pour le petit vagabond échappé de Châteauroux, elle me ramenait toujours dans les moments les plus sombres sur l’île aux mimosas.
Toi que j’ai souvent cherché
À travers d’autres regards
Et si l’on s’était trouvé
Et qu’il ne soit pas trop tard
Pour le temps qu’il me reste à vivre
Stopperais-tu ta vie ivre
Pour venir vivre avec moi
Sur ton île aux mimosas.
J’avais comme ça, quelques phrases, sur moi, des rimes revigorantes, aussi efficaces qu’une giclée de prune.
Dis, quand reviendras-tu
Dis, au moins le sais-tu
Que tout le temps qui passe ne se rattrape guère
Que tout le temps perdu ne se rattrape plus
À douze ans, j’avais l’impression d’avoir tout perdu :
Mais j’avais une maison
Avec presque pas de murs
Avec des tas de fenêtres
Et qui fera bon y être
Et que si c’est pas sûr
C’est quand même peut-être
Tu te rends compte, « si c’est pas sûr, c’est quand même peut-être. » Avec un truc pareil, je crois qu’on peut continuer à marcher longtemps. J’adorais le lyrisme naïf de Jacques Brel. Mais c’est ta voix qui rythmait mes fugues. Je marchais comme un forcené avec tes chansons dans ma tête. C’était mon baluchon et je t’assure que je n’avais pas besoin de walkman ! (NDLR : Pour les plus jeunes, sachez que cet instrument étrange est l'ancêtre du lecteur de mp3)
Tout à l’heure, au téléphone, j’ai deviné ta voix trembler. Tu as souvent peur qu’elle s’évanouisse comme dans ces contes où une fée capricieuse vous prête un don provisoire et fragile. Et parfois, c’est vrai qu’elle fout le camp, que tu ne peux plus chanter. Tu cesses d’être en harmonie. Quand on perd sa voix, cela provient d’une audition brouillée. Tu dois sourire : je parle comme un plombier. Mais c’est bien quand on a trop de rumeurs, de parasites à l’intérieur de soi que tout se brise, se fracture. À quinze ans, lorsque j’ai commencé à suivre des cours de comédie, je ne comprenais rien à ce que je lisais. Emmerdant. Mon professeur, Jean-Laurent Cochet, nous a conduits chez un spécialiste pour des tests de sélection auditive. Il s’appelait Alfred Tomatis. Il s’est rendu compte que j’entendais plein de sons, beaucoup plus que les autres. Cette longueur d’écoute m’empêchait d’émettre. Mon oreille gauche était moins sensible que mon oreille droite, et j’étais beaucoup trop réceptif aux sons aigus. J’étais mal réglé quoi ! Avec trop de bruits et de fureur dans le buffet. Au bout de quelques séances, j’ai pu à l’aide d’un micro me corriger, retrouver au fur et à mesure l’usage de la parole ! Il me suffisait alors de lire une seule fois un texte pour le réciter aussitôt par cœur… J’ai l’impression que tu n’es pas convaincue, que tu attribuerais tes problèmes de voix à des phénomènes magiques, des rites d’envoûtement, à la fatalité. Mais tu es une femme fatale ! Avec ta belle solitude, ta robe noire, entre le deuil et la nuit. Tu vis avec ta voix. Ce sont des rapports de couple. Elle te quitte, puis elle revient, elle revient toujours. Personne ne pourra s’immiscer entre vous. Tu vis dans une chasteté élective, retirée du monde, pour éviter que ta voix s’abîme ou… ou… qu’elle soit « emportée par la foule » qui nous roule, et qui nous fouille…etc. Tu as une vision de medium sur les êtres, au-delà des jugements, plus vive que l’instinct, une sorte d’intuition supérieure. Tu me fais penser à une mère, mais à une mère des compagnons, celle qui donne à boire et à manger à l’ouvrier d’élite pendant son tour de France. Elle ne met pas au monde, elle reçoit le voyageur.
Avec Lily Passion, tu as été cette fois enceinte d’un enfant rêvé à deux. Pendant trois ans, je t’ai assisté, presque accouchée ? Tu me demandais souvent s’il fallait garder une scène, raccourcir un dialogue, si tout cela était vraisemblable. À chaque fois, je t’ai répondu qu’il ne fallait rien jeter, tout oser car tout est jouable. François Truffaut me confiait que s’il n’avait pas assez d’argent, il trouvait un bon acteur. Si l’on ne pouvait pas s’offrir une gare avec trois mille figurants, il suffisait de lui demander de parler de sa vie sur un quai de gare au milieu d’une foule indifférente, entre deux trains. Et le miracle s’accomplissait. Jean-Pierre Léaud aurait fait économiser beaucoup d’argent à Cécil. B. De Mille.
Grâce à toi, à Lily Passion, j’ai pu m’échapper, quitter l’autoroute pour un chemin de fortune, une petite départementale oubliée, truffée de nid de poules. Pendant mois nous avons promené notre spectacle à travers toute la France. Nous étions à nouveau des gens du voyage, des baladins débarquant à grands cris sur la plage du village pour y dresser leur chapiteau. Viens voir les comédiens… Il n’y a plus de journées de tournage à respecter, seulement le bonheur d’interpréter tous les soirs notre histoire.
J’ai appris à connaître ta patience, cette forme silencieuse de la tolérance et de ton talent. Certains après-midi, devant tous ces beaux vignobles qui me faisaient de l’œil, ma nature reprenait le dessus. Je me sentais ensuite un peu coupable, j’avais peur de ne pas être à la hauteur, mais toi, quel que soit mon état, tu ne doutais jamais. Et à l’heure de la représentation, rassuré, je te rejoignais sur l’île aux mimosas.
Tu vois à ce stade je me dis que même si je n'assisterai à aucune des représentations de "Depardieu chante Barbara", je n'ai pas tout perdu. Cette lettre à elle seule valait que je m'égare, à la recherche de ce document émouvant, sans le savoir.
Depuis cette lecture je trouve la démarche artistique entreprise pour monter ce spectacle touchante : des hommages à la longue dame brune, on en verra fleurir beaucoup cette année mais celui-ci est comme légitimé par ce courrier qui trahit une belle intimité. Depardieu n'est pas chanteur mais c'est un interprète et sa voix est un vecteur d'émotions puissant, il en a souvent fait la démonstration. Le chant ne sera pas parfait et très honnêtement je n'ai pas très envie d'aller écouter l'album associé à ce projet (enregistré dans la maison de la chanteuse, avec Gérard Daguerre, illustre pianiste de Barbara) mais je crève d'envie d'assister à une de ces soirées de récital, aux Bouffes du Nord, pour capter un peu de l'émotion inouïe qui doit se dégager de ce moment poignant.
Je ne sais rien de ce qui s'y produit, alors j'imagine : quelques mots fragiles, lâchés comme une confidence entre deux chansons, sans trahir un secret, non, mais disant subtilement toute l'admiration mutuelle qui existait entre ces deux là.
Quand j'écris que je ne sais rien de ce qui se produit sur scène, c'est faux; en réalité, j'ai pu entendre quelques secondes d' "une petite cantate" enregistrées lors d'une des représentations : on y entend à peine la voix de l'acteur mais le choeur du public porte le chant (c'est à 18'30 juste là, donc tout à fait à la fin) et c'est bien simple, je me suis bêtement mise à pleurer en l'entendant.
D'où l'envie de partager, avec toi, ici, ce délicieux instant:
Ce titre là en particulier, c'est un symbole : elle le chantait à chacun de ses concerts, il s'agit d'un texte dédié à son amie et pianiste Liliane Bonelli, écrit après le décès de celle-ci, dans un accident : "Mais tu es partie fragile vers l'au-delà Et je reste, malhabile fa sol do fa..."
Ce titre, inévitablement, m'évoque un film de Noémie Lvovsky que j'ai aimé pour tout un tas de raisons (que j'ai exposées par là, déjà).
Il y a dans "Camille redouble" un passage formidable où le personnage principal, qui a la possibilité de revivre son passé (bon, présenté comme ça, j'imagine que ça parait étrange et que ça ne te donne pas très envie de le regarder mais je te promets que tu ne seras pas déçu si tu te lances), choisit d'enregistrer ses parents, qui chantent pour son anniversaire ce titre là justement, de Barbara. Elle souhaite conserver une trace d'eux, de la voix de sa mère surtout, dont elle regrette d'avoir vu le souvenir s'estomper rapidement, devenue adulte et ayant perdu sa maman.
Extrait de "Camille redouble" de Noémie Lvovsky... par Telerama_BA
Il va de soi qu'à ce moment là j'ai pleuré, comme une madeleine (de Proust)(Est-ce que, vraiment, c'est déplacé de tenter un petit jeu de mot dans une confession chargée en émotion? J'ouvre le débat).
Et je me suis promis d'enregistrer la douce voix de ma maman, à moi. Ce que je n'ai toujours pas fait étant donné que, comme bien souvent, j'oublie la moitié des bonnes idées qui germent dans mon cerveau de blonde avant d'avoir le temps de les mettre en application mais, tu vois, le mérite de ce billet aura aussi été de faire remonter ce beau projet en tête de ma to do list, et ce n'est pas rien je crois.
On célèbrera cette année les 20 ans de son décès, quelle drôle d'idée que de célébrer les dates de disparition mais enfin...si c'est là l'occasion d'assister à de beaux projets comme celui-là, alors pourquoi pas.
Enfin -et puisque celle qui ne tente rien n'a rien- je profite de l'occasion pour lancer un SOS : si toutefois tu as une place que tu ne souhaites pas céder au plus offrant sur un lucratif site de revente de billets au marché noir, vraiment pense à moi, n'hésite pas (il reste deux soirs seulement mais sait-on jamais?).
(Pitié)
Tu me feras ma soirée.
Et peut-être même mon année.
Je compte sur toi,
XO
Commenter cet article