Damien Saez est un artiste que j'aime beaucoup. Et beaucoup de ceux que je connais raillent cette franche sympathie que j'ai pour lui et pour ce qu'il fait.
Il faut dire que son premier gros succès très (trop?) retentissant l'a vite catalogué dans le registre chanteur-énervé-pour-ado-attardé. Mais les adolescents n'ont pas le monopole de la contestation. Et il me semble que c'est très caricatural de l'enfermer dans cette case.
Son triple album Paris-Varsovie-L'alhambra a permis de montrer que cet homme là est capable de livrer son spleen, ses angoisses et ce qui le révolte même sans crier. En douceur. De se délivrer ainsi de la douleur qu'il porte en lui. Sa voix qu'on dit trop nasale quand on veut le dénigrer, je l'aime aussi. Telle qu'elle est. Avec ses prétendus défauts.
Dans son album "j'accuse" on retrouve pas mal de titres qui en rappellent d'autres. "Pilule" est un peu la version Damien Saez de "l'homme pressé" de Noir Désir ou comment un artiste brosse un portrait de l'affligeante destination qu'il prévoit à la société dans laquelle il vit. Rythme rapide, paroles incisives : Du bon rock énervé. "Les cours des lycées" est un morceau très noir. C'est le style de Mr Saez qui veut ça. Si on veut s'amuser, on écoute autre chose. "J'accuse" est peut être le morceau qui me plait le moins et je m'étonne encore aujourd'hui que ce soit celui qui ait été choisi en premier pour la diffusion de l'album. Il me parait simpliste. Caricatural pour le coup. J'avoue. "Sonnez tocsin dans nos campagnes" est un peu le "The times they are changin'" de l'album. Il me rappelle aussi le "j'préfère 100 fois" de Sinsemilia. J'aime bien.
Soyons clairs, les titres de ce dernier album sont franchement torturés et là, la jeunesse en prend un coup. Damien ne mise apparemment pas sur la génération suivante pour prendre la relève. Enfin il ne mise plus. Souvenez vous de son appel lancé sur l'album précédant (jeunesse lève toi) qui résonnait comme une invitation à se soulever sous forme d'une incantation lasse. Il semble désormais porter un jugement amer et désenchanté sur la jeunesse d'aujourd'hui.
Cet album est en tout cas beaucoup plus politique que le précédent. On comprend rapidement que rien dans l'orientation que prend notre société ne lui plait. Comment pourrait il en être autrement, ceci dit? L'omniprésence du fric (des petits sous), la surmédicamentation (pilule) comme remède universel à la déprime générée par la tristresse de ce qui fait le quotidien de bon nombre de nos contemporains...il y a de quoi se lamenter.
Je reviens rapidement sur la polémique qui a été associée à la sortie de son album qui a pour origine l'illustration qu'il a choisie pour orner sa pochette. Cette photo de Mondino m'a beaucoup plu.
Parce qu'elle est en parfaite cohérence avec ses textes je ne comprends pas pourquoi on l'a accusé d'avoir fomenté un coup-marketing fracassant. Il a souhaité une image forte et celle-ci me parait parfaite.
Ce n'est une surprise pour personne ce que révèle cette photographie : L'instrumentalisation du corps de la femme à des fins mercantiles. On a tôt fait de s'offusquer de cet usage : Le corps féminin comme un objet manipulé-retouché-torturé pour faire vendre, ce n'est pas la première fois qu'on y est confronté; c'est ainsi qu'il est affiché partout autour de nous. Pas plus choquant en tout cas que l'exhibition de silhouettes aseptisées et corrigées à l'extrême pour nous vanter les mérites de produits variés, étalées en 4 par 4 sur les espaces publicitaires qui nous étouffent un peu plus chaque jour. Et cette image ne fait que le dénoncer. La cause me parait noble.
Alors oui certains trouvent ses révoltes décalées et adolescentes. S'insurgent de ce que cet artiste qui fustige la société de consommation soit pourtant partie prenante du système. Mais le fait est qu'aujourd'hui il est impossible de bénéficier d'une diffusion de grande ampleur sans appartenir au système classique de production, non? (En toute sincérité je n'en sais rien, aucun contre exemple ne me vient spontanément à l'esprit c'est tout).
Moi j'aime ce poète aux allures rimbaldiennes. Ses textes me touchent. Peut être moins quand il s'agit de critiquer la société que lorsqu'il évoque la question du coeur et de ses tourments. C'est là qu'il verse dans la poésie. Ses titres "énervés", j'aime moins. Clairement. Et la grossièreté qui s'y niche parfois, ça me bloque. C'est mon côté vieille France. Et avec les relents franchement misogynes qui se dégagent de certains morceaux, j'ai du mal. Mais ses textes sur les tourments amoureux sont souvent somptueux.
Dans son dernier album on retrouve des chansons dédiées à ce thème (Lula, on a tous une lula, Marguerite) et elles me touchent beaucoup. D'autant que l'homme a des obsessions. Qu'on se plait à suivre de morceau en morceau. D'album en album.
Je ne me suis d'ailleurs toujours pas remise du triple album précédant : L' Alhambra-Varsovie-Paris dans lequel plusieurs titres m'ont bouleversée. C'est cet album qui m'a fait replonger dans l'univers de Saez. Il était pourtant dépouillé en terme d'arrangements mais je crois que ça en rendait les morceaux encore plus efficaces.
Ce que j'ai pu vibrer sur "s'en aller", "des marées d'écume", "toi tu dis que t'es bien sans moi","on meurt de toi".
Dans "Je suis perdu", c'est la quintessence de la poésie saezienne qui explose. Elle touche au coeur. En plein coeur.
Voir Damien Saez en concert dans une petite salle autant rêver. Mon aversion pour les grandes salles de concert est forte mais pas assez pour m'empêcher d'aller l'écouter sur scène. J'ai donc pris ma place pour le concert du 6 mai au zénith. Un peu la peur au ventre. Peur d'être déçue de voir cet artiste que je n'imagine qu'en session intimiste noyé dans une si grande salle. Peur d'être déçue par le public dont je craignais qu'il ne vienne que pour entendre ses tubes et que ça ne le conduise à prévoir une tracklist comprenant surtout ses titres les plus radiodiffusés. Qui ne sont pas les meilleurs à mon sens.
Le soir venu, jeudi 6 mai, je pénètre dans le zénith après une fouille minutieuse de mon sac. Qui me fait penser que j'ai bien fait de ne pas m'encombrer de mon reflex que j'aurais sans doute été condamnée à laisser au vestiaire. La salle n'est pas tout à fait comble mais bien remplie pour un deuxième soir de concert et une date non prévue au départ.
Il y a là une foule hétéroclite dont la moyenne d'âge est plutôt faible mais pas autant que je me l'imaginais. Je décide de me glisser dans la fosse. Prévoyant l'affluence, j'ai pris la précaution de me jucher sur de hauts talons qui me permettent d'avoir une vue confortable sur la scène malgré les nombreuses têtes que j'ai devant moi. L'atmosphère est franchement juvénile à cet endroit de la salle. Des mains glissent sur des hanches, des lèvres caressent des nuques... Mince, j'avais oublié : un peu de printemps, quelques verres d'alcool, de la musique et la jeunesse se laisse vite aller aux roucoulades les plus démonstratives. C'est agréable de se trouver au milieu de tout ça ceci dit.
Damien entre seul en scène pour un voix-guitare sur "god bless america".
Ce que j'aime sa voix quand elle se fait douce puis quand, à la faveur d'un passage de texte orageux, elle se met à rugir puissamment.
On découvre sa mise, simple : Un jean déchiré, un t-shirt noir qui a vécu. L'homme n'est pas apprêté pour l'occasion. On constate qu'il a forci et sa lointaine silhouette rappelle étrangement celle de Nicolas Rey, écrivain torturé qui a connu un léger passage à vide dernièrement. Saez aurait il lui aussi écumé une tempête? De celles qui alourdissent le pas et le galbe. La sveltesse allait mieux à son profil d'oiseau frêle et écorché.
L'éclairage est vraiment bon ce soir au zénith et si les premiers morceaux sont nimbés d'une lumière intimiste, de nombreux effets suivront créant des halos somptueux sur lesquels se découperont nettement les silhouettes. Je retiens en particulier celle de son guitariste dont la fantaisie capillaire rappelle le grand Bob (Dylan of course), qui se déchaine littéralement sur scène assurant à lui seul le show.
On dit de Saez qu'il est imbuvable. Je me méfie des bruits qui courent.
Cet écorché vif suscite en tout cas ce soir la ferveur du public, il l'entraine magistralement avec lui.
Attention, je ne suis pas complètement séduite par Damien mais lui et son groupe de musiciens ont assuré une sacrée performance sur la scène du zénith avec un concert de 2h30 comprenant 3 sets de rappels. Ceux ci lui ont permis de naviguer de morceaux en acoustique (dont j'ai raffolé) à des envolées rock d'une intensité ébourrifante. Il y joue ses titres contestataires les plus populaires : "J'accuse", "Des petits sous" et bien sûr "Fils de France" qu'il entonne le poing dressé seul dans la lumière sur une scène noyée dans l'obscurité pour l'occasion.
Quand il reprend "j'veux qu'on baise sur ma tombe" c'est accompagné, de la première à la dernière note, par le public qui ne chante pas mais hurle le texte de concert. Pour ma part je ne connais que les textes de son triple album et donc je ne participe pas mais je goute au plaisir de me laisser traverser par l'incroyable énergie que dégage ce choeur immense.
Ses textes me touchent dans le fond. Je partage la plupart de ses engagements et de ses révoltes même si la forme me gêne parfois. Il a le don d'appuyer là où ça fait mal, de mettre le doigt sur nos travers honteux.
Saez sur scène c'est un moment de rock franc et sincère, aux antipodes de celui d'artistes comme Izia qui me semblent être engoncés dans l'obsession d'adopter une certaine posture sur scène.
L'homme est intègre et fidèle à ce qu'il est depuis le début. Peu importe que cela dérange, on sent qu'il n'essaie pas de coller à un modèle, qu'il ne cherche pas à plaire au plus grand nombre à tout prix. Il s'appuie sur les mots et la musique pour nous faire vibrer, sans artifice inutile. Avec peu de choses, il peut beaucoup quand il se livre tout entier.
Assister à une scène de Damien Saez reste une expérience à vivre : c'est l'occasion de participer à un moment musical d'une intensité rare.
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