Philippe Delerm
On se construit à partir de nos propres expériences de vie, de nos rencontres, ce qui fait que l'on évolue sans cesse au gré des choix que l'on fait, perspective terrorisante quand on y réfléchit (attention à faire le bon choix, le moment venu) mais pleine d'espoir et de renouveau possible.
Chacun d'entre nous a déjà fait l'expérience de se retrouver dans une créature littéraire, un personnage de roman qui nous a semblé étrangement familier (Et pour moi c'est entre autres la Bovary, l'Emma de Flaubert qui m'a conduit à donner ce titre au billet que vous parcourez).Quel frisson quand, en parcourant les pages écrites par un autre, il nous semble voir retranscrites certaines de nos pensées les plus intimes.Le dernier roman de Philippe Delerm s'intitule « Quelque chose en lui de Bartleby » en référence au héros de Melville.
Il s'agit d'un roman dont le personnage principal est un homme qui décide un jour de publier un blog.
Il n'a rien de particulier cet homme.
Il a conscience d'ailleurs de sa confondante banalité mais il porte un regard aiguisé sur ce qui l'entoure, il a une jolie plume et un vrai talent pour saisir et restituer l'idée qu'il se fait de la beauté, un peu à la façon d'un photographe qui composerait une image avec ses mots.
J'aime l'idée que l'on se livre même si l'on a le sentiment que cela n'a pas d'intérêt, que l'on ose partager malgré tout son ressenti - car tenir un blog, excusez moi, mais c'est avant tout une question de partage. Pour s'en convaincre il n'y a qu'à parcourir cette blogosphère riche des différences de tous ceux qui la construisent et la font vivre jour après jour : quelle communauté riche et vivante!
Certains s'offusquent bien sûr des dangers d'une virtualité qu'on ne maitrise pas, de l'éloignement au réel engendré par l'usage du net comme mode de communication entre les hommes.Je crois, d'après ce que j'en observe - et je m'autorise à penser que ceux que je lis constituent un échantillon assez représentatif de la blogosphère globale- que la plupart des adultes qui tiennent un blog sont bien ancrés dans le réel et armés seulement de bonne volonté, d'un besoin de partager ce qu'ils aiment sans crainte des préjugés.
Ecrire pour soulager, on n'a rien inventé : beaucoup de ceux qui se laissent aller à ces épanchements électroniques se délestent d'un poids trop lourd à porter.Publier pour partager, voilà qui leur permet de s'octroyer un plaisir supplémentaire.Pourquoi s'en priver?
Il faut savoir que la plupart des blogueurs sont aussi des lecteurs assidus de blogs.Quel bonheur de découvrir ceux qui se livrent à travers cette fenêtre virtuelle sur leur intimité. Ceux là même qui se débarrassent de leurs oripeaux sociaux, de leurs codes vestimentaires, de l'embarrassante enveloppe charnelle qui conduit nécessairement ceux qui les côtoient à porter un jugement hâtif sur leur personne.C'est ainsi, j'aime ces blogueurs qui n'ont pas d'âge, pas de visage, pas de silhouette (même si je respecte ceux qui ont fait le choix de s'exposer ouvertement).
Je pense en particulier à quelques uns des blogs où j'ai l'habitude d'aller flâner, à Maude notamment, que j'ai l'impression de connaître un peu.
Lire leurs pages me procure un plaisir particulier, une expérience assez unique consistant à découvrir des personnes à travers la seule expression de leur pensée, à une époque où ceux qui pensent et s'expriment sont surexposés.Ces blogueurs dont je fais partie ne sont pas des gens perdus et atrocement seuls comme on voudrait bien les caricaturer.
Là où certains voient le net comme un espace pour narcissiques obsédés par leur image je vois au contraire un terrain d'expression où l'on peut se réfugier dans le confort de l'anonymat.
Idéaliste?
Assurément.
Je fais partie de ceux qui « trouvent ça super naze de mettre les gens dans des cases » (clin d'œil pour initiés (il faut connaitre le morceau pour l'apprécier) au titre « Catégorie Bukowsky » de Vincent Delerm, « fils de » Philippe).
Mais au fond, Comme l'a si bien écrit Maude (au point d'ailleurs de presque me faire renoncer à ce billet tant j'avais la certitude en la lisant que tout était dit) celui qui écrit opère un savant mélange dans lequel il est ensuite bien difficile de le cerner.
"Quel est celui que l'on prend pour moi?"
Aragon, le roman inachevé, 1956 -
"Qu'est ce qu'un journal? Un roman"
Audiberti, "Dimanche m'attend" 1965
Ces citations sont empruntées à F. Beigbeder qui les a dispatchées dans l'égoïste romantique où il tient un journal pas-tout-à-fait-inventé qu'il présente comme "un miroir déformant que je promène le long de mon nombril" (j'adore cette formule).
Moralité?
Pour vivre heureux, vivons cachés!
Vous l'aurez compris, je suis heureuse et fière de faire partie de cette communauté des diaristes et de jouer ce jeu du je en jonglant avec cette vérité-menteuse. (merci encore F. Beigbeder).
Dans "Quelque chose en lui de Bartleby", on retrouve le questionnement de celui qui écrit sur la difficulté à se livrer sans trop en dévoiler, à ne pas se mettre en danger en s'exposant sans voile au regard des autres.Le "héros" publie son blog, est reconnu (la gloire arrive avec une chronique radiophonique) et finit par abandonner ce petit espace de liberté qu'il s'était autorisé.Un peu comme un écrivain qui connait le succès, il sent que sa plume n'est plus automatique, qu'il écrit sous l'influence plus ou moins consciente de ce qu'attend son lectorat.
Il refuse de céder à cette pression.
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